Oui, virgule, je sais, virgule, je sais, point.
Ça fait un nombre honteux de mois que je te laisse sans nouvelles, pardon.
*Non pas que tu t’inquiètes, hein, je le sais bien. Mais quand même, avoue, je te manquais un petit peu !*
Bon, alors, comment ça va depuis le temps ? Bien ou bien ? Parce que moi, ça va bien un truc de l’au-delà de ouf, je te raconte pas ! Je me décide à reprendre la plume de mon clavier pour un billet pas très drôle (mais t’inquiète, promis, ça va venir !). Pas très drôle dans le sens où je ne vais pas te raconter un épisode trop la honte, mais un épisode « beaucoup trop de joie ». Donc si ce n’est pas ta came, attends le prochain parce que je vais te dégouliner de bonheur dessus pire qu’un cupcake au soleil, qu’une fin de Walt Disney, plus immonde que la plus rom-com de toutes les rom-com du cinéma américain. En un mot, je suis HEUREUSE. Pourquoi ? ben à ton avis…
….
…huhu… hein ? à ton avis ! … allez… devine…
Ben écoute, ce n’est pas à cause d’un mec. Pas à cause d’une fille. Pas à cause de ticket gagnant à l’Euromillions ou d’un voyage sous ecsta à Goa.
Non point.
Si je suis en surkiffance de la vie, c’est à cause - ou plus grâce- à Moi.
Je ne sais pas si tu avais suivi un peu mais cela fait aujourd’hui un an tout pile que j’ai envoyé balader pas mal de choses dans ma vie. Notamment mon boulot ce qui, finalement, constituait il y a encore un an, une grosse partie de mes journées.
Reprenons les choses dans l’ordre : il a y 10 ans, je débarque à Paris pour continuer des études d’architecture après 4 ans d’études d’architecture intérieure.
*plus c’est long, plus c’est bon ? … pas forcément.*
Après 5 années d’études et de boulot à temps partiel dans le milieu, me voilà diplômée architecte d’état (dans la douleur et les larmes). Encore une année et me voilà « HMONP » (terme barbare que Google te traduira). Encore 3 ans et pouf, je signe un CDI dans un cabinet en tant que chef de projet architecte junior. Consécration ultime en ces temps de crise, joie de la grand-mère de savoir que sa petite-fille a si bien réussi dans la capitale.
Oui mais voilà… Tu le sais très bien puisque tu suis assidûment mes aventures, l’architecture, je lui ai dit d’aller se faire voir ailleurs (gentiment hein)
Et après ? Et bien après, j’ai entrepris de changer de métier. Mais avant d’avoir (spoiler alert) réussi à changer de métier, je vais t’expliquer quelques trucs à savoir…
truc #1 : de la chance d’être bien entourée.
Quand j’ai voulu démissionner, j’avoue, j’ai eu un peu la trouille. J’ai mis 6 mois avant de mettre le doigt dessus et encore 2 mois à en parler à mon boss et puis 3 mois avant de vider mon bureau. Et dans ce laps de temps, j’ai échangé moult fois mes doutes avec mes bien chers tous. Et vous savez quoi ? Pas un, je dis bien pas un, ne m’a répondu un vilain « pfff… arrête la crise d’ado jAne, à 30 ans c’est fini là, t’es en CDI c’est la crise, sois raisonnable ».
Non point.
À la place, j’ai eu des « c’est marrant, ça te ressemble bien plus », des « Non mais écoute ma fille, tu préfères quoi ? des regrets à 65 ans et le sentiment d’avoir loupé ta vie ? Essaie, si ça ne marche pas, tu as toujours ton bagage d’architecte, si ça marche, tu seras heureuse. C’est pas si grave ça, non ? », ou encore « mais ouais putain, moi aussi j’en ai trop marre de tout donner à un boulot où t’as zéro épanouissement perso, quitte à galérer, autant que ce soit pour nous aider à nous épanouir merde ! Demain, je pose ma dem’! ». Et mon préfé « tu sais, avec ta mère, ça fait un moment quand même qu’on se disait qu’architecte, ça ne rimait pas bien avec jAne »…
Mes biens chers tous, un grand merci. Dans les moments de doutes (et il y en a eu moult), vous avez toujours été là pour m’encourager, me responsabiliser face à mon choix, mais surtout, m’aider à croire en moi.
*séquence émotion*
truc# 2 : annoncer à ton boss que tu vas démissionner, toi, celle qu’il présente comme son bras droit auprès des gros clients de la boite.
Et ben comme quoi, tout peut bien se passer. Parce qu’il l’a très bien compris mon boss, que j’en avais ras le casque de chantier de ce travail. Que les mêmes blagues devant la même machine à café, les mêmes phases de projet, les mêmes questionnements DÉBILES des clients, ce n’était pas pour moi. Il l’a tellement bien compris qu’il m’a même proposé une rupture conventionnelle parce que « je ne paye pas des charges pour rien, Dieu m’en est témoin, autant que ça te serve à toi, mon bras droit »
*oui, mon ancien boss est catholique et pas rancunier… séquence Djizeus he knows me, and he knows i’m right.*
truc #3 : se confronter à la réalité.
Confrontation financière : en tant que salariée, je touchais 2050€ net par mois, un rythme de travail à chier, certes, mais des récups et des congés payés. En tant que chômeuse, je vais toucher … 1450€ (les mois à 31 jours).
ha ouais… d’un coup, là, c’est pas la même vie. Je vais toucher 600 boules de moins tous les mois avec le même loyer, les mêmes impôts, les mêmes amis depuis longtemps dans la vie active…
*séquence goutte de sueur devant l’application de la Caisse d’Epargne*
Confrontation professionnelle : je vais repartir de zéro. Je vais redémarrer tout en bas de l’échelle et vais devoir faire mes preuves, avaler des couleuvres, découvrir des trucs que je ne sais pas faire. Je vais devoir convaincre des gens que oui, je suis trop motivée et sérieuse et cap’ de faire ça, regarde un peu comme il est trop beau mon book. Et quand je vais décrocher un job, je vais me retrouver au même niveau que des gens nés en 1990. EN MILLE NEUF CENT QUATRE VINGT PUTAIN DE DIX. Genre quand j’étais en terminale, ils étaient en CM2.
*séquence ride du lion*
Confrontation quotidienne : je vais être au chômage. Je vais faire partie de ces profiteurs de la société française, une de ces glandeuses payées à ne rien foutre. Je vais devoir déclarer chaque mois que je n’ai pas travaillé, et que je suis toujours à la recherche d’un emploi, siouplé donnez argent. Je vais cesser toute activité professionnelle. Genre je me lèverai le matin et je n’aurai nulle part où aller, mon téléphone pro va arrêter de sonner, ma boite email pro va être désactivée. Quand on me demandera en soirée « étoitufékoidanlavie? », je serai obligée de dire que bon, je suis en pleine réorientation professionnelle par ce que tu comprends… heu… ouais, je suis au chômage ouais… mais en fait je fais plein de trucs quand même… ha… il est parti…
*séquence petit chat mouillé dans une ruelle sombre*
Confrontation ultime : et si ça ne marchait pas ? Si tout ça, c’est juste une crise de trentenaire bidon ? Qu’est-ce que ce sera après cette nouvelle lubie? Rouleuse de cigares à Cuba ? MAIS N’IMPORTE QUOI JANE, PUTAIN, ÇA VA PAS OU QUOI ?!
Alors ce qui est dinque avec la confrontation ultime, c’est que plus elle est violente, plus la réaction de mon moi-même du fort intérieure des tripes était calme. Un peu comme ça :
RHAAAAHHAAAA OUOZFVPH ÙOQHIBÙQ<v PUTAIN ÇA NE MARCHERA JAMAIS, C’EST N’IMPORTE QUOI ARRÊTE DE RÊVER ON N’EST PAS DANS UN FILM PAUVRE CONNE COMMENT TU VAS FAIRE POUR PAYER TON LOYER, MAIS QU’EST CE QUI TE PRENDS BON SANG ? Ben écoute, il ne me prend rien, c’est comme ça, c’est tout, je vais devenir 3ème assistante déco puis 2ème puis 1ère puis chef.
Bim, mouchée la voix de la raison. Et même dans les pires moments de doutes, jamais, jamais je n’ai eu envie de reprendre l’archi. Pas une fois je suis imaginée redevenir architecte. Un espèce de sentiment venu de mes trippes n’y croyait pas quand je me disais que peut-être ça ne marcherait pas.
*séquence I gotta feeling, woohoo.*
truc #4 : se concentrer et mettre à plat pourquoi jAne, mais pourquoi tu veux changer ta petite vie MAIS PUTAIN RHAAAA C’EST LES SOLDES CHEZ MELLOW YELLOW
Parce que je ressens plus de joie en voyant mon nom sur le générique du court métrage auquel j’ai participé un été que sur le tampon de permis de construire de Mr et Mme PavillonEnBanlieuAvecSurrélévation.
Parce que du plus loin que je me souvienne, être architecte ne m’a jamais suffi, j’ai toujours eu besoin de « faire d’autres trucs à côté pour moi » : être guide à la cinémathèque, faire des ateliers avec des enfants au pavillon de l’arsenal, écrire des notes de blogs à pas d’heure à la veille d’une réunion de chantier à 7h en banlieue, bricoler des petites choses avec mes mains, dessiner le story-board du prochain court métrage du frère… Alors que tous mes potes archis, eux, ils n’ont besoin de rien d’autre que leur boulot…
Parce que à la minute où j’ai quitté le bureau, si mon téléphone pro sonne, je ne décroche pas MAIS PUTAIN C’EST BON QUOI ILS ME SOULENT AVEC LEUR GRÈS CÉRAME DE MERDE alors ma copine archi répond à des mails pro sans broncher alors qu’on est en Inde.
Parce que je n’en peux plus d’avoir cette nana aux yeux bleus qui me demande « et si tu essayais vraiment de devenir chef déco dans le cinéma avant qu’il ne soit trop tard ?» dans le miroir de ma salle de bain tous les matins.
Parce que voir la dalle du rez de chaussée enfin coulée, pardon mais ça ne me fait ni chaud ni froid.
Parce que putain, mon plus grand plaisir de la semaine, c’est le jeudi quand je vais voir un film toute seule, que la salle devient toute noire et qu’un film me met des étoiles dans les yeux.
Parce que j’en ai marre de me sentir coupable de demander à mon boss mon vendredi après-midi en récup de la semaine à 60h que j’ai faite quand on a rendu le permis de construire de Mr et Mme PavillonEnBanlieueAvecSurélévation.
Parce que si je n’essaie pas, je ne pourrai plus jamais regarder en face la nana aux yeux bleus qui me demande « et si tu essayais vraiment de devenir chef déco dans le cinéma » dans le miroir de ma salle de bain tous les matins.
Et ça, c'est hors de question.
Et puis après tout ça, malgré tout ça, je l’ai fait. J’ai signé une rupture conventionnelle, je suis allée au pôle emploi, j’ai signé là, là, et là, j’ai fourni les papiers, j’ai eu un nouveau numéro à retenir par cœur. Je ne ta raconte pas le poids que j’ai senti s’envoler de ma personne le jour où j’ai fait mon dernier trajet en partant du bureau.
*séquence 2001 odyssée de l’espace*
Et alors, comment ça marche la reconversion architecte -> 3ème assistante déco ? Comme ça :
Primo : choper des contacts.
Pour choper des contacts dans la déco de cinéma, tu as 2 options : tu prends les coordonnées sur l’ADC (Associations des chefs décorateurs de cinéma) ou bien tu demandes à ton frère qui est régisseur adjoint à Marseille d’éplucher toutes ses bibles de tournages et de te donner ses contacts. Tu l’auras compris, j’ai choisi la 2ème.
Deuxio : préparer tout document utile à l’explication du pourquoi je contacte.
Il y a une chose que je sais faire, c’est montrer ce que je sais faire et expliquer pourquoi je leur montre ce que je sais faire. J’ai donc mis à jour mon cv et mon book pour la énième fois.
Tertio : contacter les contacts.
Perso, j’ai une approche en 2 temps :
- une première prise de contact par email avec une petite pièce jointe graphique et un petit paragraphe de 5 lignes écrit en 3 semaines et soumis à 8 correcteurs.
*l’approche courtoise*
- autant de relances téléphoniques que nécessaires pour décrocher un entretien en vrai pour montrer mon book.
*l’approche c’est encore moi, je suis désolée mais tant que tu ne décrocheras pas, je continuerai à t’appeler merci bisous*
Quarto : ne pas perdre espoir.
Dans le cinéma, en tout cas dans la déco, ça se passe comme ça : si qqn a un bon feeling avec toi, il aura envie de te faire bosser. Et pas bon feeling, j’entends bon feeling genre « non mais tu sais, dans le cinéma, on est tous une grande famille, des vrais amis ». Ha. Mais c’est à dire que mon surnom à moi c’est la reine des glaces et que je ne suis pas là pour me faire amis mais pour travailler.
*séquence gros mots*
Mais bon, comme j’adore parler de moi et que mon book est trop djoli, ça fait diversion et mes premiers contacts sont en général assez bons. Bingo, à chaque fin d’entretien, je m’entends dire « ben écoute ouais, c’est pas mal du tout ça, je ne doute pas que tu sois tout à fait apte à être stagiaire, relance moi de temps en temps et si j’ai un taf qui tombe, je penserai à toi ! Allez bisous ! »
Encore faut-il qu’il/elle ait du taf… et le taf, dans le cinéma, c’est un peu comme le pot de Philadelphia dans le frigo : d’un seul coup t’as une envie furieuse de Philadelphia alors tu cours t’en acheter et tu en manges un peu; puis tu l’oublies; puis tu retombes dessus en soulevant le sac de salade verte qui commence à défraichir alors tu en remanges et tu te rends compte qu’il est moisi alors tu le jettes.
Et puis tu attends. Tu attends que ton téléphone sonne, tu attends que le chef que tu rappelles réponde, tu attends ce sms qui te dira si finalement oui ou non la prépa pour tel film va démarrer ou pas.
*séquence all by myself*
Et tu essaies de ne pas perdre espoir. Personnellement, j’ai tenu bon pendant 7 mois. Soit très exactement 9 mois après avoir cessé toute activité en tant qu’architecte.
*séquence toutes mes potes font des bébés, moi toujours pas mais je suis quand même en gestation et pardon mais c’est tout aussi épuisant*
Quinto : le jour du cri primaire.
Suite à un alignement astral, je reçois un nouveau contact de la part du frère, je contacte le contact, je rencontre le contact, le contact me dit « hé mais ouais, j’ai une prépa qui démarre sous peu genre d’ici 10 jours grand max bingo je t’embauche dès qu’on démarre », TRENTE jours après, je reçois ce texto à 9h41 : « Bonjour jAne, si tu es disponible, j’aurai besoin de toi à partir de mercredi prochain. Bonne journée. LeChefDécoParQuiToutACommencéQuiAuraMareconnaissanceEternelle. »
*séquence cri primaire *
J’aime autant te dire que le 30 mai 2014 restera à jamais gravé dans mes têtes. Je te promets, j’ai eu l’impression que mon petit cœur de pierre se mettait d’un coup à rebattre. Comme une renaissance.
*séquence roi lion*
Et depuis ?
Ben depuis, quand je trinque, je dis « santé, bonheur, et 507 heures ! ». Depuis, j’ai bossé sur 2 longs métrages, rencontré des tas de gens différents, appris un nombre incroyables de choses, je fais des journées de 10h avec une banane pas possible. Même que depuis peu, on commence à parler de moi à untel et on me recommande pour machine qui cherchait un renfort déco, on me dit d’appeler bidule de la part de trucmuche. C’est comme ça le cinéma. Ca va très vite. Au démarrage comme à l’atterrissage…
*Séquence garder la tête froide*
Je n’ai pas arrêté de rencontrer de nouveaux décos, je n’ai pas arrêté de remettre mon book à jour, je n’ai pas arrêté d’attendre que mon téléphone sonne, je n’oublie pas que je ne suis encore qu’une troisième assistante déco parmi moult 3èmes assistant(e)s déco. Je n’ai aucune idée de qui je vais croiser demain devant la machine à café, aucune idée de l’époque à laquelle se passera l’histoire du prochain projet, aucune idée de si je peux partir en vacances avec toi dans 6 mois, aucune idée de combien de temps je vais pouvoir rester en vacances dans le sud chez mes parents. Je ne sais absolument pas si je vais rebosser un jour en tant que 3ème déco. Je ne sais pas si j’arriverai à avoir mes heures.
Par contre, ce que sais, c’est que j’ai arrêté d’être architecte/guide/animatrice/blogueuse/bidouilleuse/déco pour aider le frère pendant les vacances et les weekends.
Ça oui.
Maintenant, je suis technicienne du cinéma. Maintenant, laisse-moi te dire que de savoir que des gens vont voir ce film sur lequel j’en ai chié avec l’équipe pour finir le montage du décor à temps et peut-être passer une bonne heure et demie, ben ça me fait bien plus kiffer que de savoir que Mr et Mme PavillonEnBanlieueAvecSurrélévation seront bien contents du grès cérame de la cuisine pour les 10 années à venir.
*séquence dernière scène de l’auberge espagnole*
Mais y’a une chose que je sais, c’est quoi répondre à la nana aux yeux bleus dans le miroir tous les matins : « If you can dream it, you can make it. »
*séquence ultime cheesy Walt Disney*
____over and out____.
jAne.