samedi 10 janvier 2015

Merveille du Quotidien # 16 : « Ils peuvent venir les tigres avec leurs griffes ! »

- «  Putain, y’a un attentat à la rédac de Charlie Hebdo ! » s’écrie mon chef.
- « Quoi ? mais non, c’est un hoax ! » fut ma toute première réaction.

La suite, tu la connais bien. Je ne suis pas là ce soir devant mon écran pour raconter les événements que nous avons suivis minute par minute pendant 3 jours. Je ne suis pas là pour dire quel rôle a eu Charlie Hebdo dans ma vie. Je me suis souvent retenu de parler de choses sérieuses sur ce blog, ou d’exposer mes idées politiques. Je ne vais pas m’y mettre aujourd’hui, mais j’ai quand même envie de te faire partager ces pensées certes un peu brouillonnes, définitivement naïves, cruellement innocentes. Mais c’est comme ça, c’est ce que je suis et faut que ça sorte.

Depuis mercredi, je vais, le soir après le boulot, Place de la République. J’y vais parce que de toute façon, c’est sur mon chemin, mais aussi parce que sur la place, y a plein de gens comme moi qui y viennent. Moi qui ai toujours fui la foule et qui déteste les gens, je vais vers cette masse, je vois ces visages et dans certains je me reconnais. Cet air hébété est le même que je vois dans mon miroir le matin. Cette larme qui coule sur cette joue, j’ai la même, mais à gauche. Ce soupir lâché en baissant la tête, je viens de le pousser aussi.

Je me retrouve impuissante devant cette peine parce que je ne savais pas ce que c’était de vivre dans une ville où des individus qui ont mon âge tuent de sang froid 12 personnes au nom d’un prophète. Je ne sais même pas ce que c’est que de faire quelque chose au nom d’un prophète.
J’ai le même âge qu’une de ces deux personnes qui ont tué. Quelle est la différence entre cet homme et moi ? Mon milieu social. J’ai grandi avec des livres dans les mains, un jardin pour jouer, des gens aimants, une aisance matérielle plus que suffisante. Lui a grandi comme beaucoup dans ce que j’appelle un ghetto. Dans le même pays que le mien. Nous sommes tous les deux allés à l’école, nous avons été instruits par la même éducation nationale, et pourtant, j’ai l’impression que nous sommes de planètes différentes. Non. De système solaires différents. Il existe, dans mon pays, un système solaire différent du mien. Moi j’ai simplement eu la chance de tomber au bon endroit. Voilà à quoi ça se joue finalement. 

Et j’ai repensé à cette enfant qui avait fait partie d’un atelier que j’animais à Paris Plage l’été 2011 : elle faisait partie d’un des groupes de centre de loisirs qu’on avait le matin. Elle n’avait pas assez de sous pour partir en vacances me disait-elle, mais elle aimait bien venir faire des collages avec nous. On lui racontait de chouettes histoires sur Paris. Alors voilà, je sais bien, ce n’est rien ce qu’on leur faisait faire à ces gamins, mais les étoiles qu’elle avait dans ses petits yeux, c’était joli. Elle est revenue la semaine suivante, avec son papa et ses frères. Elle a refait des collages avec nous et quand son père est revenu la chercher, je me souviens l’avoir entendu dire à sa fille « allez, arrête avec ces conneries, viens on s’en va tes frères veulent aller faire *je ne sais plus quoi mais c’était un truc à la con*. Jette ton machin, de toute façon tu n’es qu’une fille ça ne sert à rien que t’apprennes des choses il suffira que je te trouve un mari ». Bon, alors chacun élève ses enfants comme il l’entend hein, mais j’aime autant te dire que ce jour-là je l’ai eu bien mauvaise de devoir réfréner ma verve. Là où j’aurais bien lâché un « Espèce de gros enculé, tu vas parler meilleur à ta fille ! Tu es venu l’inscrire à mon atelier, mon job c’est de lui apprendre ça alors tu vas la laisser apprendre ! Et tu vas le faire toi aussi l’atelier, ça te permettra peut-être de comprendre qu’un mégalétoscope, c’est trop de la bombe bébé ! » j’ai accordé un regard glacial à ce sombre connard, je me suis baissé et j’ai dit avec un grand sourire à la petite fille : « Est ce que tu veux bien me le donner ton collage ? Comme ça, tu mets ton nom et on pourra s’en servir comme exemple pour tous les autres enfants parce que je le trouve drôlement réussi moi ! Et je suis fière de toi. » Elle m’a quand même fait un petit sourire en signant son collage et en me le laissant. Il n’y avait plus d’étoiles dans ses yeux quand elle est partie sans se retourner. Je ne l’ai plus revue les 2 semaines restantes.

Cette petite fille aussi grandit dans un ghetto en France. Elle est prise en charge par des plans « urgence banlieue ». Ses parents, venus en France, l’ont confiée à notre Education Nationale. Ces gens se retrouvent parqués dans des cités, à l’écart des électeurs que la diversité dérange. Ma République baisse les bras devant toute une génération et fabrique un compost qui ne génère que haine et exclusion. Ce pays dont je fais partie laisse dérailler ces enfants français au point qu’ils peuvent aujourd’hui tuer 12 personnes qui ne faisaient que dessiner la cruelle réalité. Parce qu’en France, nous avons notre liberté d’expression. Ces personnes ne me sont pas devenues subitement des symboles par leur mort. Ils ne sont pas des martyrs et je reste convaincue que moi toute seule je peux continuer à m’exprimer si je le souhaite.

Depuis que je sais ce que cela fait de vivre à 7 minutes de l’endroit où ces 12 personnes ont été abattues, j’ai versé une larme, longtemps. Une seule, au lendemain de l’attentat. Parce que j’ai eu peur, j’ai lu sur le parisien.fr qu’ils revenaient vers Paris, au Nord-Est. J’ai réagi bêtement, j’ai cru que la solution était de se terrer. 

Face à tout ça, face à tout ce que je lis, tout ce que j’écoute et regarde, une phrase me revient. Elle est extraite du petit prince de St-Exupéry, à un moment, la rose dit au Petit Prince « Ils peuvent venir les tigres ! » parce qu’elle se croit trop forte avec ses quatre épines de rien du tout. Et plus tard, quand le petit prince lui dit au revoir, elle en rajoute une couche en disant « Quand aux grosses bêtes, je ne crains rien. J’ai mes griffes ». Et je me sens un peu comme la rose : 4 épines de rien du tout pour me défendre face à des tigres, mais j’ai même pas peur. À Charlie Hebdo, ils avaient des crayons et du papier. Malgré les menaces, ils n’ont jamais posé leurs crayons. Jamais ! Ils ne faisaient que fabriquer un fanzine, putain ! Juste un petit journal que chacun est libre d’acheter, ou non. De lire, ou non. De partager ou non.

Malgré les menaces, je ne couperai pas mes épines. Mes quatre petites épines à la con, c’est tout ce que j’ai et c’est bien plus puissant à mes yeux que des kalachnikovs de merde. Je nous ai vus moi et beaucoup d’autres parisiens nous tenir debout, nous rassembler le jour même de l’attentat. J’espère que tout cela ne tombera pas dans l’oubli. J’espère que nous continuerons à nous unir et prendre possession de notre espace public au lieu de nous isoler chez nous devant nos télés. J’espère qu’enfin, on donnera la chance aux futures générations de se mélanger, de partager leurs connaissances au lieu de continuer à les parquer dans des ghettos.

Je me suis retrouvée toute seule chez moi ce soir, et je me suis demandé ce que je pourrais bien faire moi toute seule. Qu’est ce que je peux faire moi ? Je ne suis rien, je n’ai que quatre épines de rien du tout ! Et pourtant…
Aujourd’hui, j’ai eu un message de ma maman sur mon répondeur qui disait « Tu sais ma chérie, tout ce qu’ils veulent, c’est qu’on baisse les bras et qu’on ne fasse plus rien. Donc résistons ma chérie ! il faut continuer. ».

Je n’oublierai pas cet événement. Je n’oublierai pas qu’aujourd’hui, un nouveau Charlie Hebdo est en préparation. Je n’oublierai pas que parfois, nous avons l’occasion de montrer à une enfant que ce qu’elle fait importe à quelqu’un. Je n’oublierai pas ce que mes parents m’ont enseigné. Je n’oublierai pas de l’enseigner à mon tour aux enfants qui croiseront mon chemin. Pour la première fois, je me dis que je ne peux pas baisser les bras et tirer la chasse sur les dernières miettes de foi en l’humanité qu’il me reste. Ce qu’il se passe dans les rues de ma ville me montre bien que certaines pierres valent la peine qu’on use nos chaussures, si ça peut permettre à des enfants de continuer le chemin. Je prendrai ma place dans ce pays parce que je crois en les valeurs d’une République qui part en couille, il n’est pas trop tard.

À ceux qui nous disent que nous ne serons pas en sécurité tant que nous combattrons Allah, son messager et les croyants, je répondrai que face à ces menaces, ce n’est pas de la peur que je ressens. Je n’ai pas peur de dire que je ne partage pas leurs croyances et que je déplore qu’une poignée d’extrémistes puissent faire passer tout un peuple musulman pour ce qu’il n’est pas. Je n’ai jamais cru en Dieu. Je ne croirai jamais en Dieu. Je ne croirai jamais que la réponse à la violence est la haine, l’exclusion, l’intolérance, l’extrémisme ou encore l’ignorance. J’ai appris à l’école 3 mots : liberté, égalité, fraternité.

Comme vous, je resterai fidèle à l’enseignement que j’ai reçu, en lequel je crois et que je veux défendre. 

Et je vous résisterai.

____over and out____.


jAne.

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